25 Avril 2020
Ecrivain précieux et discret, Jean-Pierre Abrahman (1936-2003)sans être un aventurier ou un voyageur au long cours, a mené toutefois une vie hors des sentiers battus, depuis Nantes où il est né et jusqu'au pays bigouden, son dernier territoire de résidence et de création. Etudiant en rupture de ban, déjà remarqué à Paris dans des années cinquante , par le milieu littéraire (Jean Cayrol, André Dhôtel et Jean-Edern Hallier qui lui proposa d'entrer dans l'équipe de rédaction de la revue d'avant garde Tel Quel), il décide de prendre le large : marin dans la Royale, puis gardien de phare entre 1959 et 1963. c'est en tant que gardien qu'il tient son journal qui deviendra à partir de 1964 le récit de son expérience de 3 ans passés sur Ar-Men, un des phares les plus emblématiques de Bretagne. Ce texte sera une première fois édité au Seuil en 1967. Plus tard, "homme à tout faire" dans le sud de la France auprès d'un éditeur local (expérience qui nourrira son récit "le guet" Gallimard 1986) il revient en Bretagne, s'installer comme gardien des installations de la fameuse école de voile des Glénans dont il tirera un nouveau récit "Fort-Cigogne". Puis il retourne sur le continent dans les Côtes d'Armor d'abord pour s'essayer à la fabrication du fromage de chèvre et à Douarnenez pour devenir éditeur et rédacteur de la revue Armen au sein du Chasse Marée. De 1996 jusqu'à sa mort , il écrit de nombreux textes, certains en collaboration avec l'artiste Vonnick Caroff dont le plus connu a pour titre "compère qu'as-tu vu ?"
Pour vous donner envie de découvrir cet homme et surtout ses ouvrages où brille son talent de styliste, concis (pas un mot de trop), d 'observateur sans concession de l'âme humaine, nous reproduisons cet extrait tiré d"'Armen":
Il faisait le même temps lorsque j'ai vu Armen pour la première fois. La mer était grise, comme toujours lorsqu'on navigue sur un bateau de guerre. j'ai cru reconnaître cet endroit. J'ai souhaité vivre dans ce phare. C'était la meilleure façon de ne plus le voir. Quand j'ai posé le pied, la première fois sur ce débarcadère, je me suis cru chez moi. Mais de toute cette époque, déjà, je me souviens peu.
(...)
Tout l'après midi j'ai retrouvé cette ambiance de plein été. Le phare est enfoui dans la lumière. Je sens au-delà des énormes murs la pression de l'espace. La porte est barrée. Les doubles fenêtres sont closes dans les trois chambres. Je reste assis sur une marche de l'escalier, adossé à la chaux. Aucune ombre ne bouge. Je croyais jadis que les tempêtes étaient effrayantes. Dans l'enthousiasme j'envisageais très bien de m'envoler avec le phare. Mais la vraie peur apparaît quand la mer est trop calme. Comme si nous dérivions. Je voudrais me rouler en boule dans un coin, non pas sur ma couchette, sur la pierre, dans un coin.
Cette force évocatrice, souhaitons le, en ces temps de bruits et d'écumes médiatiques, fera naître dans le silence de la lecture, de nouveaux admirateurs de Jean-Pierre Abraham .