Le 22 décembre 2007, Julien Gracq a réalisé un de ses vœux les plus chers : s’effacer derrière ses livres. Ce vœu exaucé, hélas, assombrit ceux qui connurent l’écrivain qui accueillait ces « privilégiés »avec simplicité, qu’ils soient anonymes ou célèbres, lecteurs ou « hommes de lettres », sur le seuil de la terrasse de sa maison de Saint-Florent-le-Vieil où il vivait depuis ces dernières années, solitaire mais toujours disponible lorsqu’il s’agissait de vraies rencontres. Sa disparition n’aura pas eu la discrétion qu’il aurait souhaitée. Les grandes orgues des hommages rendus à son nom résonnent dans tous les médias. Rançon d’une gloire bien illusoire pour cet observateur qui avait entendu tourner bien des moulins à paroles dans l’histoire récente du XXe siècle ! Il devait considérer autrement la voix du fleuve coulant dessous la fenêtre du salon où il avait coutume de recevoir ses hôtes de passage. Grâce à l’amicale recommandation d’ Aube Elleouët ( la fille d’André Breton) et de l’écrivain Hervé Carn, nous eûmes, à trois reprises, cette chance « de nous glisser » dans son cadre familier, à côté de la présence de la Loire et de l’ île batailleuse, paysages revenant souvent sous sa plume pointilleuse de géographe . Ce furent autant des visites de courtoisie que de travail. Cela lui agréait-il ? Nous présentions les activités de la médiathèque à l’auteur du « Roi Pêcheur » qui avait gentiment accepté en 2001 qu’une citation tirée justement de cette pièce de théâtre soit inscrite sur les baies vitrées de ce nouveau bâtiment plélanais qui bénéficia ainsi de son lointain et prestigieux parrainage. Au cours de ces échanges d’un respect mutuel, Julien Gracq nous interrogeait sur le territoire de Brocéliande, sur ses évolutions actuelles, comme celles du monde rural en général, montrant de la sorte un intérêt amical pour les habitants et les lieux d’un pays auxquels il était attaché , loin de tout régionalisme, en tant qu’illustre voisin sur ses Marches de Bretagne. Julien Gracq fit preuve de la même sympathie lorsque nous l’avions entretenu, fin 2005, d’un projet d’exposition (lui étant dédié, bien sûr) avec des textes du poète Michel Dugué. Certes, il avait exprimé des craintes naturelles sur le risque d’une médiatisation inopportune de sa personne (au détriment de l’œuvre) , mais il nous accorda sa confiance à partir du moment où il était évident que son écriture devait être au centre de cette exposition. Cela seul importait à ses yeux, avec aussi -nous confie Hervé Carn (qui en mai 2007 vint à la médiathèque lors de la présentation de Julien Gracq, écrivain géographe) – son… « faible » pour ce pays de landes et de forêts.
Ainsi, par la médiation des mots et de la géographie, un lien solide et sincère a relié la petite histoire de la médiathèque au grand écrivain qui vient de disparaître, un lien qui se vérifiera tant qu’il aura des passants , ou plutôt de ces voyageurs libérés de toute entrave (comme les héros de ses romans) qui liront, surpris par ces lettres étalées au dessus de la porte de la médiathèque : « il y a derrière chaque acte, une trace, un sillage qui s’élargit »