Toute l'actualité de la médiathèque de Plélan-le-Grand en Ille-et-Vilaine
12 Avril 2011
Un hiver de glace , Daniel Woodrell (Rivages/Noir, 2011)
Situés dans le Missouri, les monts boisés des Ozarks servent de cadre privilégié aux romans rugueux et glaçants de Daniel Woodrell. Les hommes dépeints par le romancier doivent faire face à une nature sévère et aux démons intérieurs qui les poussent à la violence et à l’autodestruction. Figures de proue de ces clans familiaux alliés ou ennemis, les femmes protègent leurs hommes et leurs enfants avec une farouche énergie. Elles défendent l’entrée de leurs foyers sans âge, et sont surtout les gardiennes de secrets que l’on doit tenir cachés. TOUS (voisins, parents, amis) s’épient à l’ombre des bouches closes. Gare à celles et ceux qui rompent le silence et parlent inconsidérément, au risque de faire du tort à la communauté. La jeune Ree Dolly s’en rendra rapidement compte lorsque, pour éviter la saisie de sa maison en plein hiver (avec deux jeunes frères sous les bras et une mère absente), elle sera amenée à braver cette loi du silence. Avec sa chair et ses os, elle paiera ainsi le prix fort pour retrouver la trace d’un père en fuite, fabricant de drogue, menacé d’un nouvel emprisonnement, qui a hypothéqué sa terre et sa maison pour payer la caution de sa mise en liberté conditionnelle. Sur qui pourra-t-elle s’appuyer dans sa dangereuse quête d’information ? Son unique amie Gail semble avoir perdu sa liberté dans son nouveau rôle de jeune mère. Et son oncle Larme (le frère de Jessup Dolly), ombrageux, imprévisible, lui a ordonné de se tenir à carreau. Dans ce western blafard du Middle Ouest, on a de drôles de façons de s’épauler ou plus simplement, de montrer son amour ! Mais le lecteur n’est pas au bout de ses surprises dans ce polar à la campagne, digne du film la nuit du chasseur. D’ailleurs, ce roman a été adapté, avec encore d’avantage de sobriété, d’ellipses et d’ombre, au cinéma en 2010 sous son titre d’origine Winter’s Bone.
Manuscrits de guerre, Julien Gracq (Corti, 2011)
Voici les premiers textes posthumes de Julien Gracq paraissant 5 ans après sa mort. « Une page vient de se tourner », pourrait-on ajouter, d’autant que c’est aussi la première fois que les pages de ses livres ne sont plus à ouvrir avec un coupe-papier ! Voilà pour l’enveloppe ! L’ensemble, quant à lui, possède une réelle unité. Il comprend le journal de l’aspirant Louis Poirier (la vraie identité de Julien Gracq). Ces souvenirs couvrent uniquement la période allant du 10 mai au 2 juin 1940, (date de sa capture par les Allemands).Ensuite le lecteur pourra enchaîner sur un court récit qui reprend deux journées de cette drôle d’équipée militaire dans les Flandres. Loin de l’ambiance (romanesque) des Ardennes d’un Balcon en forêt, nous avons l’impression d’accompagner pour de vrai Julien Gracq dans sa découverte au jour le jour de la guerre. Pourtant dit-il : « rien d’authentique ne sera sorti de cette guerre que le grotesque aigu de singer jusqu’au détail 1870 et 1914 (...) ». La difficulté à saisir ce qui se passe, les soldats de sa section, ivres et déserteurs à l’occasion (!!), l’absence d’ordre écrit de sa hiérarchie,tous ces tracas sont relatés par une plume qui fait mouche et nous rassure : le style de l’auteur est bien au rendez-vous. L’évocation de cette Débacle présentée comme un Déluge pèsera lourd aussi dans l’esprit indépendant d’un jeune écrivain qui restera un franc-tireur étranger au monde des lettres.